Une enfance éprouvante.

On dit que les liens fraternels sont assez solides pour supporter le poids de la culpabilité, des erreurs, des années. A les croire, rien ne peut briser ce lien. Rien, si ce n’est la mort. Mon frère aîné, Jaspe, a toujours été celui que j’admirais. Du plus loin que je m’en souvienne je l’ai toujours regardé avec des yeux émerveillés. Il était le plus beau, le plus grand, le plus fort.
De sept ans mon aîné, Jaspe s’occupait de moi avec plaisir alors que je n’étais encore qu’une enfant.
Neuf années de bonheur. Neuf années durant lesquelles je respirais la joie de vivre, faisant le plaisir de nos parents. Oui tout était parfait. Tranquille.

Cet été 1994, Jaspe s’englue depuis plusieurs mois dans la drogue. Parfait petit dealer de quartier.
Moi je ne le vois plus. Il ne veut pas de Moi dans ses pattes. Il me rejette. Je le vis affreusement mal.
Il rentre tard et papa et maman hurlent après lui. Ils sont contrariés et moi j’écoute derrière la porte. « Tes résultats scolaires sont en chute libre » dit papa. Jaspe ne parle pas. « Parle-moi, Chéri, qu’est-ce qui se passe ? » s’inquiète maman.
C’est le début de la dérive. Maman ne va plus sourire maintenant. Elle est triste à longueur de journée. Papa lui en a marre de cette situation. Il sait que quelque chose cloche, il n’a plus aucune emprise sur Jaspe qui s’éloigne de plus en plus de nous.

24 décembre 1997, c’est la veille de Noël. Un joli sapin décore notre maison, ça sent bon la dinde aux marrons. Maman porte une robe à fleurs, elle est jolie et elle a cette petite odeur boisée particulière. Jaspe est là aussi. Je suis heureuse.
Papa rentre du travail, il est fatigué. Les cris avec Jaspe et même Maman sont présents tous les jours. Il est cerné, mange difficilement. Je lui ai demandé s’il était malade. Il m’a juré que non.
Ce jour-là, ce jour si particulier où notre famille doit se réunir, se souder, papa a décidé de partir. Il dit qu’il n’en peut plus, je crois. Maman pleure beaucoup, Jaspe s’en fou. Alors je pleure aussi mais papa est partit. Nous ne fêterons plus jamais Noël.

Les mois défilent et Jaspe devient fou. Fou de rage envers notre mère, envers moi.
Il me frappe. Au départ j’ai juste quelques bleus. Mais je ne dis rien à Maman, elle pleure déjà trop souvent. Il me casse le poignet en voulant que je lui donne mon argent de poche.
Il n’a plus rien du grand frère que je chérissais comme la prunelle de mes yeux. Il n’a plus rien du grand frère que j’aimais tant. Après de multiples contusions, Jaspe quitte la maison. Je suis plus âgée maintenant. Je poursuis mes études sans grande idée d’avenir.
Je prends des leçons d’auto défense. Je ne veux plus subir. S’il revient, c’est sa mâchoire que je briserais. Je cherche des solutions. Je lui trouve des excuses. C’est la drogue qui le rend violent. Je sais qu’au fond jamais il ne m’aurait fait de mal.
J’étudie et trouve ma voie. Parce qu’aujourd’hui je n’ai plus peur de prendre un coup, je sais le rendre. Je veux éduquer, je veux accompagner ceux qui comme mon frère ont à un moment donné manqué de quelque chose.

Je me suis spécialisée dans l’adolescence et les problèmes de comportements, d’adaptation scolaire. Je commence à 23 ans pour des enfants plus jeunes qui ont des difficultés au sein de leur famille avant d’évoluer sur les adolescents après 2 années intensives auprès d’enfants.
Je décèle chez chacun d’entre eux une lumière parmi l’obscurité. Je m’y accroche et je la tire vers moi cette lueur d’espoir.
Jaspe est tué le 10 mai 2011. Un règlement de compte.
J’ai pu lire dans le regard de ma mère de la tristesse mais aussi du soulagement. Elle partira à son tour quelques mois plus tard me laissant un grand vide cette année-là.
Je me suis plongée dans le travail, laissant mes propres sentiments de côtés.

Je n’ai jamais trouvé chaussures à mon pied. J’ai eu quelques relations sérieuses qui n’ont jamais aboutie à grand-chose. Ils me ressemblaient trop. A force de choisir la sécurité dans mes relations, je m’ennuyais et me lassais d’eux. Si ma mère était encore là elle me dirait de me préparer à l’avenir.

L’avenir. Quel avenir…
C’est la fin du Monde. Notre Monde.

Les hurlements, les appels à l’aide. Ces gens qui meurent à cause des tremblements de Terre. Je vis ce jour intensivement, aidant du mieux que je le pouvais. Mais comme tout le monde dès le lendemain j’ai dû fermer mes portes à double tours et boucher les ouvertures de fenêtres en attendant que l’Horreur se passe. Que la Folie cesse. Personne n’y comprend rien. Moi la première. Je suis Seule. J’ai espéré que tout cela soit de courte durée et pourtant. Comme si le 24 décembre était une journée maudite, les personnes que je pensais mortes se relevaient. Prise de panique j’ai fuis. Je suis rentrée, j’ai pris un sac et tout ce que je pouvais dedans pour subsister quelques jours.
J’ai pris la voiture dans le parking souterrain roulant à vive allure, fauchant ces choses qui ne devraient pas exister. J’ai tenté bêtement de rejoindre l’aéroport avant de me rendre compte que c’était une mauvaise idée. La panne d’essence arriva bien plus vite que je ne le pensais.

J’ai trouvé refuge auprès d’un homme, Charles. Les cheveux grisonnant, quelques rides mais un regard bleu à vous faire tomber. Il a une vingtaine d’années de plus que moi, autant dire qu’il pourrait être mon père. C’est un ancien flic, il me traite comme si j’étais sa petite fille chérie et j’adore la sensation de retrouver ce que j’ai perdu pendant d’aussi longues années. Un père.

Nous survivons depuis presque deux ans maintenant. Rares sont les survivants. Charles décide de quitter le Queens. Il n’y a plus rien pour nous ici. Nous avons déjà épuisé les réserves de plusieurs supermarchés alentours. Je n’ai plus la peur au ventre quand je sors contrairement aux premiers jours. Charles a bricolé un 4x4 durant ses deux dernières années. Pare-buffle et tout le tintouin. Il est temps pour nous de rejoindre le New Jersey. Charles veut savoir si son fils est toujours vivant. Je n’ai aucun but alors j’ai accepté.
Pourtant à Manhattan tout se complique alors que nous arrivons au pont une horde de Zombies nous attaquent. Ils sont plus d’une cinquantaine. Charles décide de se sacrifier pour me laisser vivre. Il ouvre la porte et se laisse tomber durement au sol. Pied au plancher je ne me suis pas retournée une seule fois, cherchant à traverser ce maudit pont, jonché de centaines de voitures. Après avoir roulé plusieurs heures je me suis autorisée à pleurer. Sans faire de bruit.

Tous les gens auxquels je tiens finissent par mourir.