Charles est né dans la petite bourgade de Coven Valley, le 16 Juillet 1989. On était encore assez loin de s’attendre à une quelconque invasion de morts-vivants ou de créatures démoniaques à cette époque. A part peut-être dans la culture littéraire et cinématographique. Sa famille possédait une demeure modeste dans le quartier Nord de la ville. Ils avaient toujours résidé dans cette petite ville, depuis plusieurs dizaines de générations. Originaires de Salem, au départ, les évènements de 1692 avaient fini par faire s’éloigner les Murray un peu plus loin. Sans que ceux-ci ne quittent pour autant l’état du Massachusetts. Coven Valley était une petite ville tranquille, peu connue, idéale pour reprendre une vie calme à l’abri des suspicions. Ils firent profil bas, sans exercer une seule fois la sorcellerie, pendant plus de deux siècles après la violence des procès de Salem. Le jeune Charles avait grandi sans se douter une seule seconde des pouvoirs qui coulaient dans ses veines. Ses parents avaient bien pris soin de lui cacher la nature de sa famille, sans qu’il ne sache véritablement pourquoi.

C’est ainsi que son enfance fut des plus banales. Trop peut-être. Le petit sentait bien qu’il était sous-estimé. Il passait son temps à rêver d’aventures, d’occire dragons et autres créatures issues de l’imagination d’un enfant. Il sentait que sa place n’était pas dans cette petite ville de campagne, ou alors qu’on lui cachait quelque chose. Tous les interdits qu’on lui imposait étaient un signe. Il n’avait pas le droit d’accéder au grenier, soi-disant parce que celui-ci était trop dangereux, trop vieux, abimé, des travaux à faire. De même, lorsqu’un jour, pour les besoins de l’école, le petit Charles voulu faire des recherches généalogique pour présenter un membre de sa famille particulièrement important, celui-ci se vit imposer un travail préparé à l’avance par sa mère. Le prétexte avancé était qu’elle voulait être sûre qu’il ait une bonne note. Elle voulait surtout s’assurer que son fils ne finisse pas par découvrir la vérité, ou une partie de la vérité qui le mènerait à découvrir le reste. Mais ces interdits, bien que soumis à l’autorité parentale, ne lui donnait que plus envie de les braver. Sans que jamais il ne passe à l’acte. La trappe du grenier nourrissait de nombreuses interrogations dans l’esprit de l’enfant, qui voyait en elle la porte vers un autre monde. Sans doute n’avait-il pas totalement tort.

En vieillissant, il finit par oublier toutes ces petites histoires. Elles commencèrent par être reléguées comme des petits souvenirs amusants, ou intrigants, par son cerveau. Avant de finalement disparaitre complètement dans les méandres de son esprit. Le jeune sorcier découvrit ses pouvoirs pendant son adolescence. Il s’en serait bien passé d’ailleurs, car les jeunes peuvent être particulièrement mesquins et sauvages entre eux. A l’équivalent du lycée, aux Etats-Unis, la scène se déroulait au niveau de la cantine de l’établissement. Les lycéens vaquaient entre les tables, ou mangeaient, à l’heure du déjeuner. Une bagarre venait d’éclater, entre deux jeunes gens. Une brute venait de se prendre le poing d’un plus petit et plus jeune que lui, qui probablement ne supportait pas les moqueries du premier. La violence avec laquelle la brute avait répondu avait insupporté Charles. Ce qui au final avait fait ressurgir quelque chose au fond de lui-même, qui se libéra naturellement. Le résultat fut stupéfiant. Tous les verres contenant de l’eau, ainsi que les brocs, s’étaient littéralement congelés instantanément. Tous, sauf le verre que Charles tenait entre ses doigts à ce moment-là. Même si personne ne savait vraiment ce qu’il s’était passé, ni comment une telle scène avait pu se produire, les rumeurs avaient rapidement fait bon train. Certains avaient bien remarqué que le verre de Charles n’avait pas changé d’état, et ils le visèrent rapidement comme instigateur. Ce dernier avait d’ailleurs fuit rapidement la salle, car il savait qu’au fond, il était à l’origine de tout ça. Heureusement pour lui, la vie reprit son cours l’air de rien. Sans preuve physique, les rumeurs s’étaient vites déformées pour viser plusieurs personnes et finir par s’éteindre totalement au bout de deux semaines avec comme seule explication fournie par le personnel un défaut de la fontaine à eau. Et quel défaut !

C’est à ce moment précis que ses parents avouèrent une partie de la vérité à Charles. Ils lui indiquèrent son statut de sorcier, qu’il aurait ainsi un don inné à maîtriser, en faisant bien attention de ne pas l’exposer au grand public, sous peine de conséquences graves. Ils lui inculquèrent toutes les règles à savoir, tous les principes moraux. Mais ils se gardèrent bien, toujours, de lui en apprendre plus sur les origines de sa famille, ou l’histoire des Murray en générale. Leurs réponses évasives et leurs mensonges finirent d’agacer Charles qui subissait en parallèle la pression de la découverte de tout un nouveau monde. Il refusait catégoriquement d’admettre qu’il était un sorcier, que ses parents puissent être des sorciers, ou même que des sorciers tout court puissent exister. Mais la réalité était pourtant bien là. Dès qu’il vivait une émotion forte, comme une colère soudaine, ou une surprise marquée, quelque chose d’anormal se produisait. Constamment en rapport avec l’eau, d’ailleurs. Il devait bien finir par se rendre à l’évidence de sa nature. Pour autant, malgré ce pas en avant, il ne voulait pas user de la magie. Il se contenta du strict minimum, s’entraîner pour pouvoir apprendre à contrôler son don et maîtriser ainsi les pics d’émotions. Et éviter une potentielle catastrophe à chaque fois.

Mais il avait encore eu du mal à digérer tout le dossier Murray. Il découvrit la solution par l’échappatoire universitaire. L’arrivée de la fac lui offrait le bol d’air dont il avait besoin pour tourner la page et peut-être pardonner un jour à ses parents leur ignominie. Il décida d’abord d’intégrer un cursus en sciences politiques, à Boston. Ce qui nécessitait donc de s’éloigner de la demeure familiale. Ce qu’il n’eut aucun mal à faire. Il étudia pendant trois ans dans ce cursus, apprenant d’autres matières à côté mais restant axé sur les sciences politiques, avec pour thème les relations internationales. Il compléta le tout avec un an de spécialisation en journalisme. Le tout en restant à Boston, ne retournant à Coven Valley qu’à de rares occasions, dans le but caché d’éviter au maximum le contact avec ses parents. Au terme de ce parcours d’études, il se retrouva au chômage pendant plusieurs semaines. Malgré les demandes de sa mère, il refuse de revenir dans sa ville natale, sous le prétexte, à moitié vrai, qu’il avait plus de chance de trouver un bon travail de journalisme dans une grande ville. Il finit par trouver un travail dans un média d’information de prétention modeste au niveau de l’état du Massachusetts. Sans doute pas le meilleur des médias, ni le plus populaire, mais suffisamment intéressant pour lui permettre de lancer une carrière. Il commençait d’abord en rédigeant des petites rubriques, qu’il jugeait totalement inutile, comme la météo ou l’horoscope. Il pensait avoir touché le fond quand on lui donnait la charge d’écrire la rubrique donnant des conseils sur les relations de couples. Lui qui avait étudié les sciences politiques… Il comblait son manque d’excitation professionnelle par l’écriture, à côté. Son rêve étant de rejoindre les plus grands auteurs. Il entama un projet de livre, qui avait fini par lui tenir à cœur, quand les évènements sombres frappèrent en 2012.

Il était retourné exceptionnellement chez ses parents, à Coven Valley, pour passer les fêtes de fin d’année en leur compagnie. La situation familiale s’était légèrement améliorée depuis le temps. Le cours des années et la distance avaient finis par faire leurs œuvres, de manière bénéfique. Le contact avait été renoué, le dialogue à son tour. Bien que les sujets tendancieux n’aient pas été évoqués. Le tout prit une tournure tout à fait déconcertante lorsque les séismes frappèrent, le 21 Décembre 2012. Des secousses dont on avait peu habitude d’en ressentir dans cette partie des Etats-Unis. Les Murray s’en tirèrent bon, la maison était neuve, et en bon état. D’autres habitants ne pouvaient pas en dire autant. Mais ils n’avaient vécus que le début d’une ère de folie. Alors que les secours faisaient de leurs mieux pour aider la population, et que chacun se remettait des émotions de la veille, voilà que les animaux et insectes se mettaient à perdre la tête et attaquer tout ce qui bougeait. Charles avait ainsi pu voir des animaux pourtant inoffensifs se jeter et s’en prendre violemment, et gratuitement, à des passants dans la rue. Les Murray s’étaient calfeutrés chez eux, refusant d’ouvrir à qui que ce soit, s’assurant de ne laisser aucune ouverture dans la maison, pour ne pas laisser passer mouches et sauterelles. La télévision était la seule porte sur l’extérieur, et ce qu’ils y voyaient n’était pas rassurant du tout. Partout dans le monde, la scène était la même. Le cas n’était pas isolé à Coven Valley, et rendait le tout totalement horrifique.

Les jours suivants allaient être encore pires. Les carnages dans les rues du monde entier, et l’ère des morts qui suivit finirent d’anéantir le monde dans lequel ils vivaient tous. A Coven Valley, ils avaient été épargnés. L’apparition soudaine de cet homme, dont personne ne connaissait l’existence dans une ville où pourtant tout le monde se connait, était étrange. Mais chacun se garda bien d’en dire mot. Car ses promesses tenaient bons. Pas de zombie à l’horizon, et un mode de vie à la hauteur de la vie d’avant. Pourquoi se plaindre ? Charles était suspicieux, et surtout très curieux. Il voulait savoir. Comprendre le pourquoi et le comment. Et le mutisme dans lequel s’était plongée la ville toute entière suffit à le mettre en rogne. La communauté toute entière se comportait comme des moutons, qui baissaient la tête et suivaient bêtement le berger, même si celui-ci sautait du haut d’une falaise. Toute la situation était louche, trop louche. Il ne se sentait plus à l’aise, plus capable de vivre dans cette même ville que ces gens-là. Ses parents compris.

Conscient que les habitants ne comprendraient pas ses doutes, Charles préféra la fuite. Il voulait d’abord régler un problème. Le grenier. Il voulait savoir le pourquoi de tout ce chichi avec ses parents. C’était l’heure de la vérité. Il déverrouilla, par la force, l’entrée de la trappe. Ce qu’il découvrit à l’intérieur ne fut que stupéfaction et surprise. Des livres. Des montagnes de livres et de coffres. Un coffre attira son attention. A l’intérieur se trouvait divers objets, vieux de plusieurs siècles. Des portraits, des bijoux, des morceaux de lettres, une chandelle… Et un pendentif avec un pentacle inscrit en son centre. Le tout était petit, et tenait à peine la moitié de sa paume. Mais, sans savoir pourquoi, Charles l’aimait bien, et appréciait son contact. Il l’emporta avec lui. Il parcouru rapidement quelques livres, constatant qu’ils s’agissaient pour la plupart de journaux intimes, de comptes ou d’autobiographies. Tous avaient pour nom d’auteur un Murray, à des dates différentes. C’est ainsi qu’il comprit pourquoi ses parents ne lui avaient rien dit. Si les Murray avaient honte de leur passé de sorcier, c’est tout simplement parce que ceux-ci ont participé dans les évènements de Salem au 17è siècle. Les Murray avaient été impliqués dans une forme de magie noire, qui mena nulle part mais qui avait indirectement mené à la découverte par des paysans locaux de la sorcellerie, et de l’hystérie collective qui s’en suivie. Son second don, de psychométrie, se manifesta au contact de tous ces objets, lourds de souvenirs. Il fut d’abord surpris, puis finit rapidement par comprendre comment il marchait. Le contrecoup émotionnel étant toujours aussi important.

Il ne pouvait pas rester plus longtemps. Si ses parents le trouvaient ainsi, ils l’empêcheraient de partir. Il emporta quelques affaires avec lui, rapidement, dont un gros grimoire trouvé dans le grenier ainsi que le pendentif. Il quitta la ville, sac sur le dos, pendant que certains le regardaient avec des yeux ronds de surprise, incrédules. Il voulait essayer de rejoindre Boston, conscient qu’il s’agirait là d’un véritable périple, mais il avait quelques relations là-bas dont il aimerait connaître au moins le sort. C’était toujours mieux que d’errer sans aucun but. Ne pouvant compter que sur la force de ses pieds, et la totale inutilité de ses muscles absents pour se défendre, sa totale inexpérience en magie comme en combat, et l’absence totale d’armes à feu, sa survie tint du miracle. Il avait croisé quelques solitaires, au cours de son voyage, pendant de courtes périodes, mais jamais longtemps. Juste le temps de partager un repas ou une nuit, ensemble, pour plus de sécurité. Il n’avait pas confiance envers les étrangers, car très vite certains individus profitaient de la fin du monde pour exercer toutes leurs cruautés. Il ne voulait pas finir mort, par un excès de trop grande confiance ou générosité. Plusieurs fois, il dut s’arrêter, ou contourner des territoires entiers, pour éviter des hordes de marcheurs, ou attendre le passage d’un groupe de survivants dont il n’aimait pas la tête. Au final, au bout de six mois, en Octobre 2014, il finit par atteindre le centre-ville de Boston. La ville était infestée, et il n’y avait plus rien d’intéressant. Cela en était d’ailleurs vite effrayant. Sans repère, déboussolé, et épuisé, Charles devait se rendre à l’évidence. La ville était un piège énorme, où la mort l’attendait à tous les coins de rue. Il rebroussa chemin, il n’y avait plus rien ici pour lui. Désorienté, il choisit de rentrer à Coven Valley, malgré tout.

Le voyage de retour fut plus aisé. Il y avait moins de survivants, et les morts-vivants avaient finis pour la plupart par s’écrouler sous la faim et devenir des cadavres ne se déplaçant que lentement. Il avait également pris plus d’assurance en lui-même. Pour survivre, il volait dans les camions ou fouillait les maisons dans les villages abandonnés. Il s’assurait toujours qu’il n’y ait personne, de bien vivant, en faisant le tour rapide de la ville. Il ne voulait pas tomber dans un piège, ni être pris pour un monstre. C’est un soir où il fit une halte à Warlock Village qu’il tomba sur un groupe de survivants, par hasard. Celui des Red Lords. Heureusement pour lui, ceux-ci ne découvrirent pas son existence. Mais les comportements qu’ils affichaient, de loin, suffisaient à le rendre récalcitrant à toute rencontre de près. Il prit soin de prendre une direction opposée, discrètement, pour mettre le maximum de distance entre eux et lui. Et c’est alors qu’il rencontra les US Patrol, alors qu’ils étaient en train de prendre place dans le Solariscorp. Il crut d’abord que c’était des Red Lords, et que sa mort était donc signée d’avance. Ce n’était pas le cas. On lui fit passer toute une batterie de tests, malgré ses multiples affirmations qu’il n’était pas contaminé. On l’intégra d’office et on lui donna une tâche. Il n’avait pas trop apprécié se retrouver ainsi de force intégré à un travail qu’il n’avait pas forcément demandé, dans un groupe qu’il ne voulait pas forcément non plus comme famille. Mais c’était toujours mieux que de vivre dans une communauté de moutons. Il voulait donner sa chance à ce petit groupe qui semblait soudé et réactif. Malgré son humanité, il comprenait les principes des US Patrol : sauver le maximum de personnes, et tuer toutes personnes contaminées. C’était la seule solution pour tenter de sauver la planète et la race humaine. Le vaccin Oméga n’était qu’un frein, pas une solution.

Il se garda de parler une seule fois de Coven Valley, ne souhaitant pas y retourner. Si les autres découvraient l’existence de cette ville, ils seraient tentés d’y aller. Et tout ce qu’il avait fait pour éviter d’y retourner tomberait alors à l’eau. Mentir n’était pas une gêne. Ils n’étaient pas obligés de savoir. Tout comme il n’était pas obligé de leur dire d’où il venait. Evidemment, qu’on lui avait posé la question. Evidemment qu’on voulait savoir pourquoi il était seul. Mais il s’était refusé à répondre, détournant le sujet. Si on insistait, il devenait agressif, à tel point qu’on ne lui posa plus jamais la question. C’était le sujet « sensible » à ne pas parler avec lui. Et ça lui convenait. De même, il se garda de tout commentaire sur sa nature de sorcier. Il n’était pas sûr que les autres puissent comprendre. Même si cela ne l’empêchait pas de feuilleter régulièrement le vieux grimoire qu’il avait emporté, dans le but de l’étudier et d’améliorer sa connaissance de la magie. C’est ainsi qu’il apprit l’existence des démons, et de créatures issues de l’enfer, qu’il était possible d’en extirper une certaine forme de magie, sans savoir comment. Cette nouvelle vision lui faisait froid dans le dos, tout comme celle de la magie noire. Il se promit d’y rester éloigné, sauf cas grave.

Le temps passa, et il évolua au sein même de l’organisation du groupe. Prenant confiance en ses capacités, adoptant la confiance de ses nouveaux alliés, et amis, et leur offrant en retour sa propre confiance. Il avait fait partager son expérience de la région environnante, et ses connaissances du terrain, pour aider le groupe à bien s’implanter. Toujours sans leur parler de son passé à Coven Valley. Cela fait un an maintenant qu’il est membre de ce petit groupe de survivants, qui tente tant bien que mal de survivre et vivre une vie normale dans un monde devenu brutal. Aujourd’hui, plus que jamais, Charles se sent comme un véritable membre des US Patrol, plus que comme un Murray ou autre chose.