3 petites vies
1 âme désenchantée
7 péchés capitaux
Personne ne savait à quel point ils étaient mortels.
Je ne dirais pas que nous étions innocentes mais Elysabel l’était bien moins.
Nous avons toutes joué un rôle dans ce qui s’est passé.

Salem, ma ville natale. Nous sommes en 1685 lorsque je pousse mes premiers cris. Née de parents banquiers, je venais compléter la fratrie. J’ai très tôt dû apprendre la bienséance et les bonnes manières. Nos parents souhaitaient la meilleure éducation pour leurs filles. Géographie, histoire, mathématiques, langues, écriture. Toutes ces connaissances me paraissaient bien inutiles et dès que l’occasion se présentait je préférais me prélasser dans les herbes hautes. Le soleil rendait mon teint si beau qu’il aurait été cruel de m’enfermer dans une pièce la journée entière.

Je contemplais mon reflet lorsque ma tendre mère m’avoua ma véritable nature. Je me souviens parfaitement encore de ce jour comme si c’était hier.
J’étais différente, j’allais être différente. La Peur. Mon cœur manqua plusieurs battements. Car contre toute attente, cette révélation n’était pas source de joie ou de fierté mais de honte. Pourquoi cela devait-il tomber sur moi ? Tous mes sens s’affolaient, je ne voulais pas être différente ! Je voulais, oui, je voulais seulement être comme les autres petites filles de mon âge. Etais-je un monstre ? Tout mon Être vibrait à cette annonce, la panique me coupait le souffle, immobilisant mes membres. A tel point que mes pouvoirs prirent le chemin de mes sentiments. Le ciel s’était obscurcit, le vent soufflait fort, si fort. Une horrible tempête s’abattait alors si tout le domaine. Ma faute.
Je courais m’enfermer dans ma chambre, pleurant à chaudes larmes. J’avais peur… De moi.
Recroquevillée face au mur je ne voulais voir personne. J’étais une sorcière, un monstre. Tout ceci n’était qu’une Malédiction ! Et si je leur faisais mal ? Et si je blessais les gens que j’aimais ?
Je restais ainsi durant plusieurs jours, jusqu’à ce que mes sœurs viennent me trouver. Elles avaient trouvé les mots à mes maux mais ne pouvaient malheureusement pas faire disparaitre mes pouvoirs.

Je n’avais que quinze ans lorsque notre père décéda. Le sort s’acharnait sur notre famille. Notre mère, profondément attristée par sa mort mit tout en œuvre pour développer nos facultés. Au plus elle cherchait à nous instruire, au plus je m’éloignais d’elle et d’elles. Je n’étais pas prête pour cette vie-là. La seule chose qui m’importait était de contrôler mes sentiments pour éviter le pire. Je rêvais de normalité, préférant de loin passer du temps avec mes amis.
Deux années plus tard, les villageois frappèrent à notre porte accusant notre mère d’avoir tué notre père avec sa sorcellerie. Brûlée vive sur la place publique, je me cachais dans les bras de mes sœurs. L’odeur atroce qui flottait dans l’air me soulevait le cœur. Je me souviens des cris mais aussi du visage des villageois, heureux, soulagés de voir brûler une vilaine sorcière. Je ne voulais pas connaître le même sort que ma défunte mère. Je ne voulais plus de cette magie. Je n’en avais jamais voulu.

Orphelines, nous trouvions refuge à l’orphelinat de River Fall au Massachusetts. Première adoptée, je délaissais mes sœurs sans remord. Les premiers jours avaient été difficile mais mes nouveaux parents faisaient en sorte d’effacer mon chagrin en me comblant de cadeaux.
Papa était riche grâce au coton qu’il cultivait sur notre vaste terre. Au comble du bonheur, je goutais à la vie d’enfant unique avec délice. Aucun besoin de partager, tout était pour moi, juste moi. Je dissimulais mes pouvoirs, gardant ce secret précieusement. S’ils savaient, ils ne m’aimeraient plus.

Heureuse dans cette nouvelle famille, j’avais bien vite mise mes sœurs de côtés, rangées soigneusement dans un coin de ma tête. Dans un coffre fermé à double tour. Mais le problème avec la famille, c’est qu’elle refait surface lorsque vous vous y attendez le moins.

J’avais tout juste dix-neuf printemps lorsque je me mariais avec le fils d’un riche homme d’affaires. Une connaissance à mon tendre papa. Je me moquais éperdument de ce mariage arrangé. L’amour n’était pas un de mes moteurs. Aucun sentiment ne l’était. Je m’épanouissais auprès de mon mari. Il m’apportait un statut que je chérissais. Je me liais d’amitiés avec les femmes des amis de ma moitié. Tout était si parfait. Il m’arrivait d’échanger quelques lettres avec mes sœurs. Deux ou trois fois l’an. Elles n’étaient plus ma priorité depuis longtemps. Jusqu’à ce que Lysandre me fasse parvenir une potion capable de prolonger ma vitalité. Je la laissais rangé dans un tiroir quelques jours avant d’en avaler le contenu. J’étais dans la fleur de l’âge, ma peau, mes courbes étaient proche de la perfection. Je ne voulais pas perdre cette apparente fraicheur.
Mon mari décédait tragiquement. Je jouais la veuve éplorée. Ce n’était pas tout à fait faux. Avec lui s’envolait mes rêves de vie mondaine. Mais la grande part de mon héritage me redonnait le sourire. Les années passèrent sans que je ne prenne une seule ride. Je rencontrais des hommes dont la fortune n’était plus à faire. La malédiction semblait me poursuivre, mes maris mourraient tous prématurément. Accident, guerre. Je vivais chaque annonce comme une fin tragique à mes rêves.

Je traversais les siècles sans encombre, mes charmes opéraient à merveille. Je ne m’amourachais pourtant d’aucun de mes maris. Je les appréciais. Cohabiter avec eux et leur richesse étaient toujours quelque chose de plaisant. Avec les années mon goût pour les belles choses s’était affiné. J’étais dans l’incapacité totale à quitter ce Monde de mondanités. Pourtant, j’acceptais de suivre mes sœurs dans un long périple dans le seul but de me débarrasser de mes pouvoirs. Elysabel me l’avait promis.
Périple qui nous mena à Coven Valley.
Durant treize longues années nous avons planifié ce rituel qui allait me rendre ma liberté.

Mais les promesses sont faites pour être rompu.

Le rituel n’avait pas fonctionné comme nous l’avions imaginé. Le sol s’était mis à trembler sous nos pieds au point qu’une brèche se forme. Erik, le compagnon de Lysandre avait fui cet endroit maléfique. Treize années gâchées. Je pensais qu’on allait devoir tout abandonner mais c’était sans compter sur ma sœur aînée. Folle de rage elle nous poignarda. La garce nous laissait pour morte sans jeter un regard derrière elle.

Rien de tel que la mort pour mettre les choses en perspective.

Alors que la vie s’échappait de mon corps, Lysandre et moi pactisions avec Léviathan. Un vieux démon qui nous offrait la vie et la protection sur notre ville du fléau que nous avions provoqué. En échange ? Nous devions seulement l’aider à fouler notre bonne et vieille Terre. Accepté

On dit que l’enfer c’est du feu et du souffre mais pour moi c’est Coven Valley.
Cette ville est mon enfer,  une ville perdue dont les petites rues sont pavées d’intentions bonnes et mauvaises.

Si l’orgueil est la racine de tout péché,
L’avarice en est le fruit gorgée de soleil.
Elle provoque une satisfaction immédiate.

Aujourd’hui, je me paye le luxe de posséder ma propre demeure et quelques domestiques. Coven Valley est devenue ma prison mais j’ai la chance d’y voir des barreaux dorés à l’or fin. J’entretiens une relation particulière avec Léviathan alias Gabriel Vaughn, le maire de notre charmante petite ville. La simple idée de faire parler de la probabilité de notre futur couple me ravi et les spéculations vont bon train.
Mais certaine chose reste immuable. Je garde précieusement mes capacités pour moi n’ayant aucune envie qu’on me rende coupable de ce qui se passe en dehors de nos frontières. Par chance, le contexte de fin du monde préserve mes pouvoirs de mon humeur fluctuante.