Les chants des esclaves noirs retentissaient dans les champs de cannes à sucre alors que ma mère était en train de souffrir le martyr pour me donner la vie, accompagnée par deux femmes, une accoucheuse et une esclave de couleur. Mes cris ne mirent pas longtemps à apparaitre, cadeau d’une longue et douloureuse attente de neuf mois. Toute ma petite enfance se passa normalement, sans grands rebondissements mis à part le fait que j’étais un enfant précoce. Je pus marcher à l’âge où les bébés pouvaient à peine se tenir assis, ce qui fit le plus grand bonheur de mes parents. Bonheur rapidement accompagné de la peur car ma curiosité commença à pointer le bout de son nez en même temps, ce qui me rendait particulièrement casse-cou. Mais rien ne m’arrêtait, déjà le monde extérieur m’attirait, l’inconnu. Je gambadais dans la direction de tout ce que je ne connaissais pas pour l’examiner.
Les histoires que ma mère me racontaient me transportaient dans un autre monde, un monde féerique et remplit de magie. Je les aimais tellement que je n’en sortais pas, vivant presque tout le temps dans ma bulle, dans un monde parallèle. Malgré mes demandes pour avoir un petit frère ou une petite sœur, mes parents n’eurent pas d’autre enfant. Je vécus alors seul, apprenant à lire et compter avec des livres vu que c’était tout ce que je pouvais faire à côté de mes sorties qui se transformaient en exploration de grotte de dragon. Comprenant rapidement mes habilités, mon père m’apprit comment gérer la plantation si bien qu’il pouvait partir librement alors que j’étais adolescent. Ce fut pendant cette période que je découvris avoir des pouvoirs en plus d’une mémoire et d’une intelligence que j’entrainais. Ayant assez d’argent, mes géniteurs me payèrent un percepteur pour répondre à toutes mes questions et m’apprendre tout ce que je voulais. Au bout d’une année, ce dernier n’avait plus rien à m’apprendre, il fut alors renvoyé de l’exploitation.
Ma soif d’apprendre devenait plus importante que tout, plus importante que les filles que mes parents me présentaient, que les diverses valeurs qu’ils essayaient de lui inculquer. Il n’était pas un bougre malpoli ou mal élever. Juste un jeune homme en quête de savoir. Un beau jour, alors que je venais d’acquérir ma majorité, je pris le choix de partir vers l’inconnu. Je ne trouvais plus de plaisir à évoluer ici, dans ce petit univers vite restreint par les hectares de canne à sucre. Ça devenait étouffant, ennuyant, barbant à un tel point que j’avais pensé plusieurs fois à mettre fin à mes jours, mais je n’avais jamais eu les couilles de le faire. Trop lâche ? Sûrement… Et peut-être trop jeune ! J’étais encore rempli d’ambitions et de rêves à cette époque de ma vie. Ma première destination ? Charleston ! Grande ville vivant au passage des bateaux ramenant les esclaves nègres de l’Afrique pour les vendre aux riches propriétaires blancs. Arrivé en ville, je trouvais rapidement un petit appartement en dessus d’une droguerie que je pus louer avec l’argent que mes parents m’avaient laissé. L’exploitation était plus que rentable, ils m’avaient alors promis de m’envoyer une jolie petite somme tous les mois pour me permettre de bien vivre en attendant de trouver ma place dans la société. Ce ne fut pas évident car toutes les choses de la vie auxquelles je n’avais pas été confronté me tombaient sur le coin de la gueule. Mais je ne voulais pas rentrer, c’était ma motivation. Je devais rester ici où je pouvais apprendre, j’en étais convaincu !
Le premier mois fut le plus difficile. La confrontation avec ce qu’ils appelaient la vie réelle, la vie « citadine » était plus compliquée pour moi qui venait d’une exploitation sucrière et qui vivais dans mon monde. Je découvris rapidement une librairie dans laquelle je me perdais jours et nuits à la place de chercher du travail pour gagner de l’argent. Je dévorais le papier comme un affamé, apprenant tout ce qu’il était possible d’assimiler. Les saisons passèrent alors que je vivais tranquillement, ne dépensant pas trop l’argent qui venait de l’exploitation familiale pour faire des petites économies. Il fallait dire que mes occupations ne me coutaient pas trop chères… Contrairement à certains qui se payaient des puterelles négresses toutes les semaines. Au vu du temps que je passais dans le salon de thé de Charleston, je commençais à connaître du monde, sans qu’eux ne me connaissent. Cela débutait par leur prénom, puis par des anecdotes sur leur famille et enfin des petits secrets. Ce fut sûrement ici que ma première rencontre avec ce monde de l’ombre se passa. J’étais comme un fantôme auquel personne ne s’intéressait vraiment, ou du moins de trop prêt. Mais mes oreilles trainaient et amassaient les informations, si bien que rapidement je connus les squelettes cachés d’une bonne partie de la ville. Je savais que le maire sortait chaque mardi soir pour rejoindre sa maîtresse noire alors qu’il était un esclavagiste confirmé et un raciste avoué et que cette dernière était en cloque, je sus également que le « médecin » n’était en fait qu’un charlatan ayant créé lui-même ses papiers pour pouvoir pratiquer… J’aurais pu faire tourner tout ce beau monde à ma façon, cependant je n’étais pas encore assez couillu pour oser prendre les devants et jouer avec eux à cette époque. Je souriais à chaque fois que je les voyais et si leur regard croisait le mien, ils pouvaient y lire de l’amusement et une pointe de provocation.
Après quelques mois et quelques lettres échangées avec mes parents, je pris la décision de me faire engager dans la droguerie qui se trouvait en dessous de chez moi. Le salaire n’était pas flamboyant mais il y avait plus ou moins la même somme que ce que mon paternel m’envoyait. Travailler ici me plaisait bien. Je pouvais voir de nouvelles choses et surtout apprendre à utiliser de la matière première pour faire différentes choses comme des concoctions ou des soins. Mais comme partout, il y avait une tache pour rendre l’activité moins plaisante et cette tache semblait être mon employeur qui se mit à avoir des propos mal placés ou tout simplement des gestes dérangeants. Je ne disais rien, le savant marié, père et surtout le croyant comblé mais lors de l’une de mes séances au salon de thé, j’appris qu’il n’avait plus touché sa chère et tendre depuis qu’elle ne lui demandait plus d’enfants, chose qui me parut des plus étranges. Le rideau tomba lorsqu’un soir, après un bref inventaire il se colla contre moi dans l’arrière-boutique et commença à se frotter vulgairement en gémissant à mon oreille. Je tentais de me débattre mais il était plus fort que moi et si je fuyais, je perdais tout ce que j’avais ici, tout ce que j’avais construit. Alors je me laissais faire, acquiesçant la douleur de ses coups de reins en moi avant qu’il ne me salisse. Une longue année passa, une longue année durant laquelle il ne se passa pas une semaine sans qu’il ne me profane. Chaque mouvement remplissait mon dégoût pour cet homme et surtout mon désir de le faire couler, de l’écraser, de lui enlever tout ce qu’il avait. Après tout, j’avais toutes les cartes en main pour le faire couler… Un beau matin ensoleillé, je compris que ce soir ça allait être ma fête à nouveau. Alors pendant ma pause, je pris le temps de rédiger deux petits papiers, demandant à la femme de ce dernier et à l’autorité de venir après la fermeture de l’échoppe. Tout l’après-midi durant, je fis comme si rien n’était. Ne répondant pas à ses provocations vulgaires et grossières. Il s’amusait à croire qu’il arriverait à me faire jouir de cette façon et ne se gênait pas de me le dire, si seulement il savait comment j’allais jouir ce soir en sachant que tout cela allait être terminé pour de bon ! Comme à son habitude, il ferma le magasin cinq minutes plus tôt et le cirque habituel repris. Je me retrouvais rapidement aussi nu que le jour de ma naissance, les jambes écartées. Mais cette fois, je ne pipais pas un mot, me contentant de sourire sarcastiquement alors qu’il me violait une fois de plus. La scène fut, comme je le pensais, jouissive ! La femme qui possédait un double des clés rentra, suivie d’un homme de main du maire et ce fut la débandade. Je me mis tout à coup à hurler comme si l’on m’arrachait le cœur et appelait à l’aide. Se croyant seul avec moi, cela le fit rire mais le cri de sa femme et les propos lancés par l’homme de loi le firent rapidement débander. Pour la première fois de ma vie j’avais atteint le Nirvana si bien que mon corps fit ce qu’il n’avait jamais fait auparavant : il jouit. Non pas de plaisir, mais de joie et de relâchement. Mon calvaire était enfin terminé et j’avais finalement compris l’importance des secrets et comment les utiliser.
Pour se faire pardonner, la femme de mon patron décida de me léguer la boutique, me laissant la gestion de tout le petit immeuble composé de mon appartement et de mon échoppe. L’annonce de ce qu’il s’était passé ne mit pas longtemps avant de se répandre dans toute la ville, si bien que les gens me regardaient avec une certaine pitié quand ils passaient pour une emplette. Cependant le marché ne s’arrêta pas et petit à petit les gens commencèrent à oublier, me laissant enfin tranquille. J’étais débarrassé de leurs regards apitoyés, désolé pour ma personne. Dans l’arrière-boutique à laquelle je n’avais pas accès, je trouvais toute une bibliothèque remplie de vieux bouquins. Vieux bouquins qui piquèrent ma curiosité au premier coup d’œil. Les pages étaient jaunies par le temps mais l’état des livres était spectaculairement bien conservé. Ce que j’y trouvais fut au-delà de toutes mes espérances, mais je dus attendre de longues années avant de pouvoir le comprendre et de pouvoir réaliser. Ce fut des années plus tard quand mes pieds foulèrent le sol amérindien.

Me voici alors à l’âge de mes trente ans, toujours autant marginal, voyageur et curieux. Les écrits de l’arrière-boutique me donnèrent une nouvelle quête de savoir : connaître le corps humain. Ces recherches m’emmenèrent partout où la science faisait des avancées. Je pris alors beaucoup le bateau pour me rendre en Europe, là où tout semblait avancer plus vite. Les plantes et leurs valeurs médicinales n’avaient plus de secret pour moi, ou du moins c’était ce que je croyais jusqu’à ce que je découvre cette plante dans les steppes indiennes. Au début, je la pris pour une simple Aloe Vera, mais quand je me souvins que l’Aloe n’était pas originaire de cette région, je sortis un le parfait kit de l’explorateur et pris une branche de cette fameuse plante. Quelle fut ma surprise que je vis ladite plante se reconstituer sous mes yeux en cinq minutes. Je tenais dans mes mains un remède naturel à bien des maladies, j’en étais plus que sûr ! Après des mois de chimie, d’essais, de transformations j’arrivais enfin à mon but ! J’avais créé une potion qui permettait de se régénérer plus rapidement et qui guérissait de maladies diverses. Cette recette miracle valait des millions, voire même plus ! Cependant c’était le seul plan que je connaissais et que j’avais pu recueillir, alors il m’était impossible de le faire se reproduire. Malheur dans mon bonheur ? Sûrement ! Mais je n’allais pas m’en priver !

La première dose de cet élixir se fit pendant l’année de mes trente ans. Depuis ce jour, mon corps n’évolua plus. Mon visage resta le même, ma peau ne prit pas une ride et ne vieillit pas. Ne voulant pas tenter le diable, je décidais de ne pas casser ma consommation, histoire de garder mon être intact. Une seule dose loupée et je pouvais me retrouver en poussière après tout… Avec tout ce savoir, ma magie ne devint que plus puissante. Il était toujours plus facile de faire un sort quand on comprenait sur quoi l’on devait agir… Un domaine m’attira plus que les autres, la nécromancie. La sorcellerie en lien avec le monde des morts. J’appris différents tours auprès de gens pas très recommandables, tout en gardant mon opinion personnelle au fond de ma poche. Ce n’était pas le mal qui m’attirait contrairement aux gens qui choisissaient cette voix, c’était le défi, un monde que je ne connaissais pas. Toujours dans la même enveloppe charnelle, je traversais les décennies, piochant et jouant avec les secrets des gens qui se trouvaient dans mon environnement. Dès que les curieux se posaient trop de questions quant à ma personne, je déménageais et partais loin pour me faire oublier. Ma route se construisait comme celle d’un tsigane, je suivais les chemins qui me donnaient accès à certains endroits connus pour leurs fumeries d’opium. J’en raffolais ! Mon esprit était possédé par cette plante qui hantait mes nuits et mes rêves, me laissant rejoindre mon monde, mon univers. Ce fut d’ailleurs dans l’un de ces lieux que je rencontrais pour la première fois un démon, sublime créature mais dangereuse. Un esprit possédant un corps humain, quelle créature pouvait être plus fourbe et dangereuse ? Je me mis alors à le chasser, convaincu que le mal qu’il infligeait n’était pas mérité ! Et depuis mon premier butin, je ne pus plus m’arrêter.

Je fis beaucoup de rencontre au cours de mes deux siècles de vie, tout comme beaucoup d’expériences. Cependant mon âge commençait à me rendre plus marginal que je ne l’étais déjà. L’humain me paraissait fade après l’avoir côtoyé deux cents ans, trop calculable. Bien sûr, ce n’était pas le cas de tous et je me laissais volontiers surprendre, même si entre nous cela n’arrivait pas souvent ! Mon esprit glissait gentiment dans la douce folie, sans pour autant devenir paranoïaque ou fou. Je pensais autrement que le commun des mortels et les choses avaient un autre attrait pour moi. Ce fut à Paris que je pris conscience de l’un de mes pouvoir en rencontrant la belle Elizabeth pour la première fois. Esprit d’une ancienne puterelle, dès qu’il remarqua que je pouvais la voir, elle ne me lâcha plus les talons si bien que je pris la décision de m’en servir comme allier. Et ce n’était que la première ! Un petit garçon du nom de Jean que je vis à New York et qui décida de me suivre aussi. Le pauvre avait vécu le naufrage du Titanic, sans avoir pu s’en échapper. Sa vision du monde était quelque chose que j’appréciais chez lui, si bien que nous pouvions parler plusieurs heures autour d’une tasse de thé rouge.

Malgré la douce monotonie de la vie, en 2012 se passa l’impensable : une nouveauté ! Une chose intéressante à étudier ! Chose dangereuse, à un tel point qu’elle éradiqua une grande partie de la pauvre petite race humaine. N’était-ce pas triste ? Un parasite s’était échappé de cette brèche, de ce pont sans fond qui laissait remonter des créatures des plus étranges. Plus vite qu’il n’en fallait pour battre un cil, l’humanité était décimée et le chaos régnait sur Terre, jusqu’à l’arrivée de Gabriel Vaughn, un humain qui puait l’après-rasage et la fausseté à des kilomètres. Il promit, malgré ces énormes défauts, un endroit de calme et tranquillité et pouf ! Comme par magie Coven Valley fut. Mon esprit me disait de fuir cet homme, mais ma curiosité était plus forte si bien qu’il devint mon second centre d’intérêt, après la faille. Ce fut dans ce chaos que Lysandre vint à moi pour me demander de l’aide pour aider l’humanité contre ce qui sortait de cette porte qui reliait l’enfer au triste monde des vivants. Je recréais alors le Styx, ancienne fumerie que avais fréquentée plusieurs années auparavant et nous en fîmes le quartier général des Cerbères. Bien sûr, par rapport à mon parcourt de vie, se limiter à cela pouvait sembler inquiétant ? Mais je savais centrer mes occupations et tant que ce que je faisais me permettait de gérer mon petit monde avec mon petit doigt, cela me convenait ! Et puis, ce n’était pas parce que je m’arrêtais au Styx que vos secrets étaient en sécurité…